Nous l'avions entrevue par les imprimés. Il s'agit maintenant de se détacher de ceux-ci pour retrouver un milieu de ces mêmes années cinquante où l'on n'ouvrirait jamais un journal, où l'on ne lirait jamais un livre, si faire se peut. Se contentant de l'existence ordinaire que l'on mène dans une maison de par chez nous. On est horloger, on est agriculteur, on suit son petit chemin d'existence tant bien que mal.
La guerre est derrière soi, et même si on ne l'a vécue que d'une manière très éloignée. Les combats furent pour les autres. On la vivait à distance, on absorbait les nouvelles que l'on voulait bien nous donner, la censure veillant à ce qu'un journaliste n'aille pas raconter n'importe quoi!
Et puis l'on oublia tout ça, ce qui fut d'autant plus facile que tout restait en place, qu'il n'y avait rien à reconstruire. Et l'on repartit vers le progrès avec des fulgurances incroyables. Aucune années sans que l'on n'améliora notre confort. Ca allait même trop vite. Alors, dans ce tourbillon, bien plus qu'avant encore, on devint des consommateurs. De meubles, de machines ménagères, de gadgets, et puis bientôt de voitures. Et mieux encore, de TV, où des bonimenteurs patentés allaient nous apprendre à penser juste. Et à nous mettre dans la tête ce qu'ils voulaient bien nous proposer. En fait, on n'était toujours pas très loin de la censure, mais cette fois-ci, ce que vous pouviez voir sur ce petit écran faisait plaisir. Cela devenait votre loisir. Vous regardiez la TV bien assis dans votre nouveau fauteuil, sur votre nouveau canapé. Après avoir mangé dans la cuisine toute neuve, avec les nouveaux appareils que les grands magasins savaient vous proposer.
On nageait presque dans le bonheur, puisque ce que vous pouviez vivre, n'était rien encore par rapport à ce que l'on pourrait vous proposer bientôt.
Et pour les enfants que nous étions en ces années cinquante, bien au chaud dans nos maisons quand venait l'hiver, ces choses-là, elles nous étaient étrangères. On vivait un peu en marge. On avait notre monde. Où dominaient le goût des histoires en images, car telles on les appelait encore, c'est-à-dire aux BD. Et voilà qui nous ramène exactement à la case de départ. Il faut donc les oublier pour tenter de retrouver ce monde de progrès tous azimuts où tous les espoirs étaient prmis à chacun de se faire ce que l'on disait: une bonne situation.
C'est ce monde-là, précisément, que nous tenterons de pénétrer. Si faire se peut. Car voilà, à l'époque, on a pas toujours pensé à le fixer par le biais de la photo. On allait simplement sans savoir vraiment que l'on découvrait là, en quelque sorte, par rapport à ce que l'on avait connu quelques décennies auparavant, une nouvelle civilisation.